Marrakech flambe : opportunité en or ou bulle prête à éclater ?

Publié le 17 mai 2025 à 18:24

Marrakech a toujours été cette ville qui ensorcelle. Une lumière unique, une énergie bouillonnante, une douceur de vivre qui colle à la peau. Mais derrière les murs ocres et les patios fleuris, un autre visage se dessine. Celui d’une ville qui attire les capitaux comme le miel attire les abeilles... sauf que les butineurs repartent, et nous, on reste. Et on paie le prix. Aujourd’hui, je me demande : et si cette flambée immobilière n’était pas une simple success story marocaine, mais le prélude d’un déséquilibre profond ? Entre engouement et inquiétude, il est temps de prendre le pouls d’une ville qui vacille entre rêve doré et cauchemar spéculatif.

 

Ce n’est pas une critique de Marrakech – bien au contraire. J’écris ces mots avec le cœur, en tant que personne qui s’y sent profondément chez elle. Dans un contexte où certains répondent "si tu n’es pas contente, rentre en France", je ressens au contraire le besoin de dire que je me sens locale ici, concernée, et solidaire. Et dans ces temps parfois durs pour les Marrakchis, je crois qu’il est important que quelqu’un ose en parler, avec respect et bienveillance.

Marrakech, ville d'or ou poudre aux yeux ?

Je vis à Marrakech depuis plusieurs années maintenant. J'y ai vu les saisons passer, les modes changer, les riads se rénover, et surtout, les prix de l'immobilier s'envoler 🌟. Ces derniers mois, c'est comme si tout s'était emballé : on parle de "Marrakech la flamboyante" sur les sites d'investissement, de "ville refuge" dans les cercles de MRE (Marocains Résidant à l'Étranger), et pendant ce temps, nous, les locaux, on suffoque.

Je ne trouve plus d'appartement à louer. Ou alors à des prix indécents, sans lien avec la réalité salariale marocaine. Cette ville qui était encore il y a quelques années une oasis accessible devient une vitrine pour investisseurs. Marrakech flambe. Mais à force de brûler, ne risque-t-elle pas de s'effondrer ?

 

Les symptômes d'une bulle immobilière 🏡

Avant de juger, il faut comprendre. Une bulle immobilière, c'est quand les prix de l'immobilier augmentent de manière démesurée, sans rapport avec la valeur réelle des biens. Voici les étapes typiques :

  1. Expansion : hausse des prix stimulée par la demande (tourisme, investissements, MRE).

  2. Spéculation : on achète pour revendre vite, pas pour habiter.

  3. Surévaluation : les prix dépassent les valeurs locatives ou d'usage.

  4. Eclatement : chute brutale de la demande, les biens stagnent.

  5. Effet domino : toute l'économie locale est touchée.

Voyons ensemble si Marrakech présente ces signes... ou pas encore.

 

Expansion : une ville sous les projecteurs

La phase d’expansion d’une bulle naît souvent d’une demande en forte hausse, généralement dopée par des éléments extérieurs comme des taux d’intérêt particulièrement bas. Or, au Maroc, ces taux gravitent actuellement autour de 4,8 % – un niveau modéré, qui ne favorise pas vraiment une frénésie d’emprunts bancaires. Autrement dit, l’hypothèse d’une bulle alimentée par un endettement massif semble peu probable. Mais cela ne veut pas dire que la demande n’est pas en pleine ébullition… car d’autres leviers, comme l’engouement touristique ou les investissements étrangers, continuent de jouer leur rôle d’accélérateur.

Autre particularité du marché marocain : une grande partie des investissements se fait en dehors du circuit bancaire classique. Que ce soit pour acheter un bien, lancer un projet ou diversifier un portefeuille, beaucoup optent pour des fonds propres ou des financements privés. Une manière d’éviter la paperasse, mais aussi de garder une liberté de mouvement plus grande. Dans ce contexte d’expansion, la solidité financière des investisseurs pèse lourd : ici, on ne joue pas avec l’argent qu’on n’a pas.

Marrakech attire. Le soleil, l'exotisme, les vols low-cost, les réseaux sociaux... La ville est devenue le jouet préféré des influenceurs, des retraités européens, des MRE qui veulent "investir chez eux", ou encore des citadins marocains lassés de Casablanca ou Rabat.

Entre 2021 et 2023, le prix moyen du mètre carré à Marrakech est passé de 11 500 MAD à plus de 14 000 MAD, soit une hausse de plus de 21 % en deux ans selon Mubawab Trends. Dans certains quartiers comme Gueliz ou l’Hivernage, on dépasse allègrement les 20 000 MAD/m² pour des biens neufs.

Les taux d'intérêt restent relativement raisonnables (autour de 4,8 %), mais une large part des acheteurs paie comptant. Les statistiques de Bank Al-Maghrib montrent que plus de 65 % des acquisitions à Marrakech en 2023 ont été réglées sans crédit bancaire. Marrakech est devenue un "placement plaisir". Et donc, les prix montent. Normal ? Jusqu'à un certain point.

 

Spéculation : bienvenue dans la jungle Airbnb 🏨

Ce qui change la donne ici, c'est la location courte durée. Dans certains quartiers comme Gueliz, la Médina ou l'Hivernage, des appartements se louent entre 90 et 130 euros la nuit. Une rentabilité de 12 à 21 % brut, du jamais vu en Europe. Forcément, les investisseurs se ruent dessus. Ils achètent, meublent, louent sur Airbnb.

Selon les données d’AirDNA, Marrakech compte aujourd’hui plus de 11 000 logements actifs sur Airbnb, un chiffre en hausse de 38 % par rapport à 2021. Dans certains quartiers centraux, plus de 40 % du parc immobilier est dédié à la location courte durée.

Mais les conséquences sont violentes pour les habitants. Le parc locatif se raréfie. Les logements "classiques" sont transformés en biens de rendement. Et nous, qui voulons juste vivre ici, on se retrouve éjectés du marché locatif.

"J'ai visité cinq appartements en une semaine. Tous réservés aux touristes."

Une rentabilité qui alimente la fièvre immobilière

Contrairement à d’autres grandes villes internationales où les prix de l’immobilier sont complètement déconnectés de la réalité des loyers, Marrakech garde encore un certain ancrage : ici, les revenus locatifs — notamment ceux issus de la location courte durée — continuent de justifier, en partie, les prix au mètre carré.

Prenons un exemple concret : un appartement bien situé dans le centre-ville peut s’acheter autour de 18 000 dirhams/m². Loué en mode Airbnb, il peut générer entre 90€ et 130€ par nuit, avec un taux d’occupation mensuel oscillant entre 20 et 25 nuitées. Résultat : des revenus locatifs bruts de 1 800€ à 3 250€ par mois, et une rentabilité brute qui peut grimper entre 12 % et 21 %.

Quand on sait que dans une ville comme Paris, une rentabilité brute de 5 à 8 % est déjà considérée comme correcte, on comprend l’attrait.

Évidemment, tout dépend du quartier. À M’hamid ou Massira, plus populaires et éloignés du flux touristique, la rentabilité dépasse rarement 7 à 8 %. Mais dans les zones très demandées comme Guéliz, Hivernage ou autour de la Médina, l’effet Airbnb joue à plein régime, et les rendements explosent.

C’est cette perspective de profit qui entretient la flamme. Les prix ne sont pas seulement le reflet d’un désir de vivre à Marrakech, mais d’un désir de rentabiliser. Et tant que les loyers touristiques restent aussi élevés, la spéculation continuera de gonfler la bulle.

Surévaluation : des prix qui n'ont plus de sens

L’un des signaux classiques d’une bulle immobilière est la décorrélation entre les prix de vente et les revenus locatifs, notamment lorsque le rendement locatif chute de façon anormale. Prenons un cas concret à Marrakech : un appartement acheté 180 000 €, qui génère 1 800 € par mois en location courte durée.

Cela équivaut à un rendement brut de 12 %, un chiffre largement au-dessus de la moyenne observée sur de nombreux marchés européens. Même en location longue durée, avec un loyer mensuel estimé autour de 1 100 €, on reste sur un rendement brut de 7,3 %, ce qui reste très attractif.

Le fait que les prix de l’immobilier restent cohérents avec le niveau des loyers indique qu’il n’y a pas, pour l’instant, de signe manifeste de surévaluation. Si, en revanche, le rendement brut en location longue passait sous la barre des 4 %, on pourrait commencer à s’inquiéter d’un déséquilibre. Or, Marrakech est encore loin d’un tel seuil.

 

Un appartement à Gueliz qui se vendait 1,2 million de dirhams en 2019 peut aujourd'hui dépasser 2 millions, soit une augmentation de plus de 66 %. Et cela sans travaux, ni amélioration de standing. Dans le quartier de Majorelle, on atteint même 25 000 MAD/m² dans certaines résidences neuves.

Les villas justement. Avant, elles étaient en périphérie. Aujourd'hui, elles colonisent les zones centrales. Des murs hauts, des gardiens, des piscines privées. Une gentrification totale. Marrakech devient une "ville-produit", calibrée pour un public international, déconnecté des réalités locales.

 

Risque d'éclatement : à quand le point de rupture ?

Pour l'instant, les prix continuent de grimper. Mais combien de temps cela peut-il durer ? Plusieurs facteurs pourraient faire basculer la situation :

  • Une crise géopolitique dans la région

  • Un durcissement fiscal sur les résidences secondaires

  • Une baisse du tourisme international

  • Une inflation durable

 

Dans l’hypothèse d’une correction du marché entraînant une baisse des prix de l’ordre d’un tiers, le rendement locatif brut s’en trouverait mécaniquement renforcé. Par exemple, si un appartement initialement acquis à 180 000 € voyait sa valeur chuter à 120 000 €, tout en continuant à générer 1 100 € par mois en location longue durée, le rendement grimperait alors à 10 %, contre 7 % au prix d’achat initial.

Autrement dit, même en cas de repli significatif des prix, le potentiel de rentabilité locative resterait solide, ce qui maintient l’attrait du marché pour les nouveaux investisseurs.

Si les loyers chutent et que les rendements baissent, les investisseurs vendront. Et si trop de biens arrivent sur le marché en même temps, les prix s'effondreront. Marrakech pourrait alors vivre son propre "subprime marocain".

Mais entre-temps, c'est nous, les locaux, qui subissons cette pression invisible.

 

L'effet sur les Marrakchis : un mal silencieux 🩸

Je le vois tous les jours autour de moi. Des familles qui quittent le centre pour aller en banlieue. Des jeunes qui ne trouvent plus à se loger. Des propriétaires qui préfèrent des touristes aux habitants.

Selon une étude de 2023 du ministère de l'Aménagement du territoire, plus de 30 % des ménages de Marrakech ont des difficultés d’accès au logement, et le taux de vacance dans les quartiers centraux atteint parfois 20 %... des logements vides ou occupés épisodiquement par des étrangers.

On a troqué le "vivre ensemble" pour le rendement. Le marché immobilier, censé être un pilier d’ancrage social, devient un outil d’exclusion. Marrakech, ce n’est plus seulement la ville rouge. C’est la ville des opportunités pour certains, de la galère pour les autres.

 

Le miroir des MRE : amour ou abus ?

J'aime nos compatriotes MRE. Ils reviennent avec la nostalgie, l'envie de faire quelque chose ici. Mais certains ont une vision biaisée : pour eux, Marrakech est une station balnéaire à rentabiliser. Ils achètent par dizaines, transforment les quartiers, et sans s'en rendre compte, appauvrissent l'accès à la propriété pour ceux qui vivent ici à l'année.

Un petit rappel : investir, oui. Participer à la vie locale, encore mieux. Mais coloniser ? Non. Ça n'a jamais fait le charme de Marrakech.

 

Peut-on revenir à une Marrakech plus juste ?

Je ne suis pas contre le développement. Mais un développement aveugle, sans régulation, est un poison à long terme. Il est temps que les autorités locales mettent en place :

  • Des quotas sur la location courte durée

  • Des aides à l’accès au logement pour les Marrakchis

  • Un encadrement des prix dans les quartiers tendus

  • Une politique urbaine qui préserve l’âme de la ville

Et nous, en tant que blogueuses, citoyens, expats, on doit éveiller les consciences. Ce blog, c’est aussi ma façon de dire : regardez ce qu’on est en train de perdre.

Distinguer la demande locale de la demande étrangère : une clé pour comprendre le marché immobilier à Marrakech

Le marché immobilier de Marrakech repose sur une dualité profonde entre deux types d’acquéreurs : la demande locale, portée par les résidents marocains, et la demande étrangère, dominée par les investisseurs et expatriés venus d’Europe. Ces deux dynamiques coexistent, mais elles répondent à des logiques très différentes, tant en termes de besoins que de pouvoir d’achat.

 

🏡 Les résidents marocains : une recherche de stabilité et d’accessibilité

Pour une grande partie des Marrakchis et des habitants des régions avoisinantes, l’immobilier est avant tout un besoin vital, lié à l’achat de leur résidence principale ou à la constitution d’un patrimoine familial. Leur recherche se concentre sur des secteurs résidentiels comme Massira, M’hamid ou Targa, où les prix restent relativement contenus. Néanmoins, l’accession à la propriété devient de plus en plus difficile, en raison d’une hausse continue des prix et de conditions d’emprunt parfois contraignantes imposées par les banques.

🌍 Les investisseurs étrangers : une approche patrimoniale ou spéculative

À l’opposé, les investisseurs étrangers – principalement Français, Espagnols et Britanniques – privilégient les quartiers haut de gamme comme l’Hivernage, Guéliz ou la Médina. Attirés par le cadre de vie ensoleillé, la richesse culturelle et la rentabilité potentielle des locations saisonnières, ils achètent souvent des résidences secondaires ou des biens à exploiter sur le marché touristique. Cette demande a pour effet de faire grimper les prix dans ces zones, les rendant inaccessibles pour une grande majorité de la population locale.

⚖️ Un déséquilibre qui influence toute la structure du marché

Cette coexistence de deux marchés parallèles engendre des tensions structurelles. D’une part, de nombreux promoteurs immobiliers choisissent de se tourner vers des projets haut de gamme, pensés avant tout pour séduire une clientèle étrangère. Cela entraîne un manque criant de logements accessibles pour les classes moyennes marocaines. D’autre part, la spéculation s’intensifie dans certains quartiers touristiques, où les prix peuvent s’envoler rapidement… mais aussi redescendre brutalement en cas de désaffection soudaine des acheteurs étrangers.

🌐 Un marché à deux vitesses, exposé aux aléas extérieurs

Ce phénomène crée un marché à deux vitesses : alors que les zones prisées par les étrangers peuvent connaître des variations rapides en fonction des cycles économiques internationaux (par exemple, une récession en Europe ou un durcissement fiscal à l’étranger), les quartiers plus populaires restent souvent plus stables, portés par une demande locale continue. Toutefois, cette relative stabilité ne suffit pas à compenser le déficit d’offres adaptées aux budgets marocains.

💡 Repenser l’équilibre pour un marché plus durable

Face à cette disparité, la question de l’accessibilité au logement devient centrale. Pour éviter que Marrakech ne devienne une ville réservée à une élite étrangère ou à des investisseurs fortunés, il devient urgent de mettre en place des politiques publiques incitatives, favorisant l’accès à la propriété pour les locaux. Cela pourrait passer par des aides au financement, une simplification des démarches ou encore une régulation plus équilibrée de l’offre immobilière entre luxe et logement abordable.

 

🔥 Marrakech, entre deux feux

Marrakech flambe. Est-ce une opportunité en or pour les investisseurs ou une bulle immobilière prête à éclater ? Peut-être les deux. Mais ce que je vois, moi, chaque jour, c’est une ville qui glisse entre les doigts de ses habitants. Une ville qui vend son charme contre des rendements. Une ville qui risque de se perdre dans les excès de sa propre beauté.

Ce blog est un espace pour en parler. Pour analyser, critiquer, rêver aussi. Car je crois encore qu’on peut garder Marrakech vivante, authentique, et accueillante. Mais il faut réagir. Maintenant. ✌️

On ne parle pas ici d’un simple marché, mais d’une âme urbaine. D’un tissu social, de vies enracinées, de ruelles pleines de cris d’enfants, de vendeurs d’épices, de vieux cafés où le temps s’arrête. Marrakech peut encore choisir sa voie : celle d’une ville ouverte et équilibrée, ou celle d’un décor de carte postale vidé de ses habitants. À nous toutes et tous de ne pas rester spectateurs. Car une ville ne meurt pas seulement de guerre ou de crise. Elle meurt aussi de silence.

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Commentaires

Cathy G
il y a 14 jours

Bravo Sandy pour ton article très complet. Il explique bien les paradoxes de cette ville avec beaucoup de charme qui reste à taille humaine. Je fais le parallèle avec le Pays Basque où les prix flambent et cela devient très compliqué de se loger. A quand une vraie réflexion et régulation du marché immobilier permettant à chacun de se loger décemment sans trop s'éloigner ?